Les minutes s’écoulaient doucement à la montre de Gee. Dans la voiture, tout était calme, la respiration profonde de sa femme troublait à peine le silence de l’habitacle, le moteur ronronnait imperceptiblement et les essuie glaces continuaient leur trajet régulier contre le pare brise. La tempête avait cessé et avait cédé sa place à une pluie fine et régulière, clapotant doucement contre les vitres. La circulation était redevenue fluide et Gee en profita pour doubler deux semi remorques et pour se positionner sur la file de gauche.
Gee consulta à nouveau sa montre qui indiquait 11h37. Gee soupira : il était encore bien loin de la Virginie, la route était glissante et l’obligeait à ralentir.
Le jeune homme posa son regard sur sa femme, repliée sur elle même et frissonnant étrangement. Il réajusta doucement le gilet qui avait glissé de son épaule gauche et reporta ensuite son attention sur la route. Les panneaux indiquant la Virginie étaient maintenant de plus en plus fréquents. « Nous n’aurons peut être pas tant de retard que ça, finalement, » se dit-il. Il jeta un regard dans le rétroviseur et constata avec soulagement que Bill dormait toujours. Sa tête était appuyée contre la vitre, ses mains étaient profondément enfoncées dans les poches de son blouson. Son visage fin était lisse, impénétrable. Ses yeux étaient étroitement fermés, sa bouche esquissait un demi sourire qui mettait Gee mal à l’aise.
Le jeune homme intensifia la rapidité des essuie glaces, la pluie se faisait en effet plus drue ; bientôt, il fut incapable de voir plus de quelques mètres devant lui et dû ralentir encore.
Sa femme se réveilla et lui proposa de le relayer au volant mais son mari refusa et lui dit de se rendormir. Quelques minutes plus tard, elle dormait, mais d’un sommeil agité et angoissé. Elle changeait souvent de position, se recroquevillait comme prise de peur face à une menace invisible. Ses traits étaient tirés, des cernes se dessinaient sous ses yeux, sa bouche était crispée, comme prête à crier. Gee posa sa main sur le genoux de sa femme, et attendit qu’elle se détende pour la reposer sur le volant. Peu à peu, sa respiration se fit régulière, ses muscles se délièrent. Peu de temps après, elle dormait d’un lourd sommeil.
Gee conduisit encore un moment dans le silence, son esprit vagabondant au loin, retournant dans sa tête la question de l’étrange auto-stoppeur. Soudain, une gigantesque bourrasque de vent ramena sur le pare brise d’énormes gerbes de pluie, l’aveuglant un instant et l’obligeant à faire un écart. Le vent cessa alors brusquement, laissant à nouveau place au monotone bruit de la pluie qui tombait maintenant depuis le début du voyage sans discontinuer.
Lorsque Gee ramena machinalement son regard vers le rétroviseur, son cœur se glaça d’effroi. Il avait capté du coin de l’œil l’éclat bleu acier du regard de Bill qui l’observait, impénétrable, son terrifiant demi sourire au coin de la bouche.