Bien que restée inconnue sa vie durant, presque absente de la scène littéraire (seul sept de ses poèmes furent publiés de son vivant), Emily Elizabeth Dickinson (1830-1886) est aujourd’hui considérée comme faisant partie des poètes fondateurs américains du XIXème siècle.
Son champ d’expérience fut limité, puisqu’elle ne s’éloigna d’Amherst, communauté ultra-puritaine de Nouvelle-Angleterre, ni franchi le seuil de la maison familiale, entre son père, Edward Dickinson, juriste et homme politique, admiré et craint, et sa mère, Emily Norcross Dickinson, plus effacée ; entre sa sœur Lavinia Norcross Dickinson, qui ne partit jamais non plus et son frère William Austin Dickinson, installé dans la maison voisine avec sa femme Susan, amie de cœur de la poétesse.
Mais, à certains égards, ce retrait fut peut-être moins absolu qu’il n’y paraît: tout en se dérobant au monde, au mariage, elle adressa des lettres passionnées à divers correspondants masculins.
Toute sa vie, Emily Dickinson se sera penchée sur le mystère de l’absence en questionnant la mort, la nature, l’âme, Dieu, l’existence, la déchirure, la négation du temps se coulant en eux, les réflechissant, les laissant affleurer à travers le prisme de son inépuisable curiosité et d’une multitude d’approches, de rapports inatendus, voire incongrus, qui déroutent et stimulent le lecteur en une spirale sans fin.
Le néant hante Emily Dickinson à l’instar de Mallarmé.
Secrète et expansive, grave et moqueuse, discrète mais audacieusement libre, sa personnalité est aussi complexe que l’espace réel de son expérience fut restreint...
J’aime un regard d’Agonie,
Car je sais qu’il est vrai –
Les hommes ne simulent pas la Convulsion,
Ne miment pas les Affres –
L’œil se glace une fois – et c’est la Mort –
Impossible de feindre
Les Perles sur le Front enfilées
Par l'Angoisse casanière