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| | Baudelaire, Les Paradis artificiels | |
| | Auteur | Message |
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Clément
Messages : 118 Date d'inscription : 04/01/2008 Age : 32 Localisation : ICI
| Sujet: Baudelaire, Les Paradis artificiels Ven 22 Fév - 15:34 | |
| En ce milieu de siècle de XIXème, les drogues passionnent et questionnent, en particulier les artistes : Gautier, mais aussi Poe ou De Quincey, dont Baudelaire fut, est-il besoin de le rappeler, l'admirateur et le traducteur... Les écrivains expérimentent, réunis en "club des haschischins", fantasment et écrivent : récits, chroniques ou textes théoriques. Les Paradis artificiels se donne donc à lire comme une étude analytique du haschisch et de l'opium : leur texture, leur odeur, la manière dont ils sont fumés, les effets qu'ils produisent. Des témoignages et des descriptions précises se dessinent, issues sans doute des expérimentations personnelles de Baudelaire en la matière. Il y transcrit l'idée que la drogue permet aux hommes de se transcender pour rejoindre l'idéal auquel ils aspirent, aspiration douloureuse à un Ailleurs qui permette d'échapper à l'ingrat Réel, on y retrouve en substance l'univers baudelairien et ses obsessions, motifs récurrent chez l'écrivain: le voyage, rêves, hallucinations, fantasmagories, tout ce qui permet à l'esprit de s'échapper d'un monde considéré comme une prison est accueilli avec gratitude, élan spirituel terrassé par le Spleen, relents délétères de catholicisme dans l'évocation mêlant plaisir et Mal, sous le joug de l'impitoyable remords. Et pourtant Baudelaire n’était pas un grand consommateur de drogues. Il découvre le haschisch à l’hôtel Pimodan, s’abandonne quelques temps aux délices de "cette pommade verdâtre" , mais n’en abuse pas. Gautier prétend même que le poète s’est surtout contenté d’observer lors de ces séances du "Club des Haschischins". L’opium lui était plus familier, sous la forme du laudanum prescrit pour apaiser ses douleurs d’estomac. L’accoutumance l’avait amené à augmenter progressivement les doses, mais dans son cas on ne pouvait parler de réelle intoxication à la substance.
Haschisch ou pas, Baudelaire nous convainc d'abord de la magie de son Verbe.
L'expression "paradis artificiels" désigne aujourd'hui toute drogue (en particulier les hallucinogènes comme la mescaline ou le LSD) consommée dans le but de stimuler la créativité poétique et l'invention d'images inédites. | |
| | | Clément
Messages : 118 Date d'inscription : 04/01/2008 Age : 32 Localisation : ICI
| Sujet: Re: Baudelaire, Les Paradis artificiels Dim 2 Mar - 18:20 | |
| C'est qu'elle n'a rien compris! | |
| | | Clément
Messages : 118 Date d'inscription : 04/01/2008 Age : 32 Localisation : ICI
| Sujet: Re: Baudelaire, Les Paradis artificiels Dim 9 Mar - 14:54 | |
| « Qu’est-ce que le cerveau humain, sinon un palimpseste immense et naturel ? Mon cerveau est un palimpseste et le vôtre aussi, lecteur. Des couches innombrables d’idées, d’images, de sentiments sont tombées successivement sur votre cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune en réalité n’a péri. » Toutefois, entre le palimpseste qui porte, superposées l’une sur l’autre, une tragédie grecque, une légende monacale, et une histoire de chevalerie, et le palimpseste divin créé par Dieu, qui est notre incommensurable mémoire, se présente cette différence, que dans le premier il y a comme un chaos fantastique, grotesque, une collision entre des éléments hétérogènes ; tandis que dans le second la fatalité du tempérament met forcément une harmonie parmi les éléments les plus disparates. Quelque incohérente que soit une existence, l’unité humaine n’en est pas troublée. Tous les échos de la mémoire, si on pouvait les réveiller simultanément, formeraient un concert, agréable ou douloureux, mais logique et sans dissonances. Souvent des êtres, surpris par un accident subit, suffoqués brusquement par l’eau, et en danger de mort, ont vu s’allumer dans leur cerveau tout le théâtre de leur vie passée. Le temps a été annihilé, et quelques secondes ont suffi à contenir une quantité de sentiments et d’images équivalente à des années. Et ce qu’il y a de plus singulier dans cette expérience, que le hasard a amenée plus d’une fois, ce n’est pas la simultanéité de tant d’éléments qui furent successifs, c’est la réapparition de tout ce que l’être lui même ne connaissait plus, mais qu’il est cependant forcé de reconnaître comme lui étant propre. L’oubli n’est donc que momentané ; et dans telles circonstances solennelles, dans la mort peut-être, et généralement dans les excitations intenses créées par l’opium, tout l’immense et compliqué palimpseste de la mémoire se déroule d’un seul coup, avec toutes ses couches superposées de sentiments défunts, mystérieusement embaumés dans ce que nous appelons l’oubli. Un homme de génie, mélancolique, misanthrope, et voulant se venger de l’injustice de son siècle, jette un jour au feu toutes ses oeuvres encore manuscrites. Et comme on lui reprochait cet effroyable holocauste fait à la haine, qui, d’ailleurs, était le sacrifice de toutes ses propres espérances, il répondit : « Qu’importe ? ce qui était important, c’était que ces choses fussent créées ; elles ont été créées, donc elles sont. » Il prêtait à toute chose créée un caractère indestructible. Combien cette idée s’applique plus évidemment encore à toutes nos pensées, à toutes nos actions, bonnes ou mauvaises ! Et si dans cette croyance il y a quelque chose d’infiniment consolant, dans le cas où notre esprit se tourne vers cette partie de nous-mêmes que nous pouvons considérer avec complaisance, n’y a-t-il pas aussi quelque chose d’infiniment terrible, dans le cas futur, inévitable, où notre esprit se tournera vers cette partie de nous-mêmes que nous ne pouvons affronter qu’avec horreur ? Dans le spirituel non plus que dans le matériel, rien ne se perd. De même que toute action, lancée dans le tourbillon de l’action universelle, est en soi irrévocable et irréparable, abstraction faite de ses résultats possibles, de même toute pensée est ineffaçable. Le palimpseste de la mémoire est indestructible.
« Oui, lecteur, innombrables sont les poèmes de joie ou de chagrin qui se sont gravés successivement sur le palimpseste de votre cerveau, et comme les feuilles des forêts vierges, comme les neiges indissolubles de l’Himalaya, comme la lumière qui tombe sur la lumière, leurs couches incessantes se sont accumulées et se sont, chacune à son tour, recouvertes d’oubli. Mais à l’heure de la mort, ou bien dans la fièvre, ou par les recherches de l’opium, tous ces poèmes peuvent reprendre de la vie et de la force. Ils ne sont pas morts, ils dorment. On croit que la tragédie grecque a été chassée et remplacée par la légende du moine, la légende du moine par le roman de chevalerie ; mais cela n’est pas. A mesure que l’être humain avance dans la vie, le roman qui, jeune homme, l’éblouissait, la légende fabuleuse qui, enfant, le séduisait, se fanent et s’obscurcissent d’eux-mêmes. Mais les profondes tragédies de l’enfance, – bras d’enfants arrachés à tout jamais du cou de leurs mères, lèvres d’enfants séparées à jamais des baisers de leurs soeurs, – vivent toujours cachées, sous les autres légendes du palimpseste. La passion et la maladie n’ont pas de chimie assez puissante pour brûler ces immortelles empreintes. » | |
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